À l’instar de toutes les zones humides, les îles du Rhône forment un écosystème extrêmement riche.
On y trouve une végétation très variée composée de saules, d’aulnes ou de peupliers, ainsi qu’un végétation plus basse d’osiers, de broussailles et de “vorgines”, des plantes se développant à la limite entre la terre et l’eau, comme des roseaux, des joncs... Les poissons abondent, ainsi que les oiseaux, en particulier les canards sauvages et, plus rarement, les hérons. Cette richesse environnementale constituait pour les Neyrolands du XIXe siècle une ressource très importante. Les brotteaux formaient un espace se prêtant à de multiples usages économiques, tels la collecte de sable, la pêche, la chasse (ou le braconnage...) aux canards et aux lapins, en particulier lors des hautes eaux du Rhône, lorsque ce dernier formait des “lônes”, c’est-à-dire des îles temporaires ou les lapins se retrouvaient bloqués et n’avaient plus qu’à être ramassés.
Le pâturage du bétail sur les terrains communaux constituait l’un des usages les plus importants, que les habitants cherchaient à préserver à tous prix. Les travaux du canal de navigation des années 1840 et 1850 rencontrèrent ainsi l’opposition de toutes les communes de Thil à Rillieux : on craignit que le nouveau cours du Rhône n’ennoie des terrains ou n’empêche les bêtes de rejoindre les îles. Plusieurs pétitions furent adressées au ministère des Travaux publics, qui décida néanmoins de passer outre, l’amélioration de la navigation représentant un intérêt supérieur à ses yeux.
La pâturage ne cessa d’ailleurs pas. En revanche, il entra de façon croissante en contradiction avec un autre usage des îles en fort développement au XIXe siècle, les plantations d’arbres. Ainsi que l’exposa le maire François-Désiré Perrodon au conseil municipal en 1831, les îles représentaient la principale (sinon l’unique) source de revenus pour que la commune finance ses projets. L’affermage des terrains pour y planter des saules ou des peupliers, plutôt que leur vente qui était déconseillée par les autorités préfectorales, constituait aux yeux des Neyrolands une source de capitaux pour financer la construction de la maire, qui eu lieu en 1874, améliorer les chemins, assurer le fonctionnement de l’école primaire : depuis 1833, la commune devait entretenir un instituteur, la classe des garçons fut installée dans la mairie en 1875. Les plantations se firent à grande échelle : 3 600 plaçons dès 1811 sur le Brotelon, la bande de terre où se situent aujourd’hui le stade et les terrains de tennis, qui formait un île à l’époque. On continua toutefois à laisser paître les troupeaux dans les terrains ainsi plantés.
Il ne faut pas non plus s’exagérer la richesse qui pouvait être tirée des îles. Tous les baux ne trouvaient pas preneur les des adjudications. Il fallait aussi accorder des remises sur les loyers lors des crues. Le conseil municipal semble également avoir été parfois réticent : en 1853, le sous-préfet dut rappeler au maire Eugène de Jacob de la Cottière que l’affermage ne pouvait avoir lieu sans l’assentiment de son conseil municipal. « Je ne puis que vous engager à user des voies de la persuasion »... Ce que fit Eugène de Jacob de la Cottière en rédigeant une petite brochure imprimée à Lyon à l’intention de ses administrés. « Mûrissez, je vous prie, tous ces projets ; ils sont urgents, indispensables. Défrichez de suite [...] et vous satisferez le plus cher de mes vœux, celui de vous voir entrer franchement dans une voie d’amélioration et de progrès qui doit vous tenir au niveau des populations éclairées qui nous environnent. »
Au fil du temps, les usages s’intensifièrent et évoluèrent. Les documents relatifs à l’indemnisation pour la crue de 1876 nous informent que de nombreux fermiers des communaux plantaient désormais du blé sur les terrains. En 1891, une pétition fut adressée à la mairie contre le pâturage du bétail : mal gardé par des enfants, les bêtes causeraient trop de dommages aux cultures, que l’on entourait par ailleurs de plus en plus souvent de fossés. L’exploitation des îles demandait ainsi des réaménagements constants.
Corentin GRUFFAT