Un dernier retour sur le paysage fluvial nous permet de retracer une autre évolution majeur des usages du Rhône.
L’attention que les riverains portent au paysage à partir du XVIIIe siècle est en effet inséparable d’un nouveau regard et de nouvelles pratiques qui associent la nature aux loisirs. Entre la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle, ce sont tout d’abord les Brotteaux de Lyon qui attirent de façon croissante les citadins. Au moment où l’urbanisation s’accélère et intègre progressivement les faubourgs de la rive gauche comme les quartiers actuels de la Guillotière ou de la Part-Dieu, cet espace encore largement arboré et ses pelouses attire de plus en plus les Lyonnais de toutes catégories sociales en quête de détente et de ressourcement.
Déjà en 1779, Julien Pascal dédia à la ville un imposant poème de 1 400 vers intitulé “La Brotiade ou les Plaisirs des Brotteaux” dans lequel il célébrait les sorties du dimanche dans cette nature propice aux flirts et aux rencontres amoureuses... Dans un style moins poétique, François-Marie de Fortis livra en 1822 une description des attractions qui se développait dans ce qui deviendrait en 1857 le Parc de la Tête d’Or : guinguettes, terrains de boule lyonnaise, montagnes russes...
L’ouvrage en deux volumes de Fortis est particulièrement intéressant car il s’inscrit dans un genre littéraire en plein essor au XIXe siècle, le “pittoresque”, qui prend sa mission au sens littéral : décrire ce qui mériterait d’être peint, si possible en ajoutant des gravures au livre. Cette littérature avide de panoramas grandioses s’intéressa toutefois d’abord peu aux îles de Miribel. Dans sa description du cours du fleuve depuis sa source, Fortis fait un bond du Sault-du-Rhône à Lyon, comme si rien n’existait entre les deux ! En 1865, s’essayant au genre, le baron Achille de Raverat nous permet de saisir certains changements en cours, alors que Caluire s’urbanise progressivement et que le chemin de fer est désormais bien installé. Le baron se désole de la disparition des guinguettes, des pêcheurs à la ligne, des oiseaux et des amoureux. Dans un autre ouvrage de 1878, le même baron décrit le paysage par la fenêtre du train, et signale que les restaurants s’implantent désormais à Rillieux-la-Pape. En revanche, il juge la commune de Neyron elle-même “tout à fait dépourvue d’intérêt”.
Les sorties du dimanche s’éloignent progressivement du centre de Lyon, et atteignent Neyron au tournant du XXe siècle. Un tramway est installé sur la route de Genève, dont la fréquence s’accroît les dimanches pour permettre aux Lyonnais de s’offrir une sortie dans les restaurants de plus en plus nombreux sur les rives neyrolanes du Rhône. On en compta jusqu’à une douzaine...
Corentin GRUFFAT