Un coup d’œil aux cartes postales du début du XXe siècle révèle combien les fleuves étaient alors différents de ce qu’ils sont aujourd’hui.
Une chose nous frappe particulièrement dans le paysage d’alors : l’absence d’arbres sur les rives du Rhône, alors qu’ils y sont si nombreux aujourd’hui. Pour un Neyroland du XVIIIe siècle en revanche, un autre élément de la photographie serait peut-être plus marquant encore : le tracé rectiligne de ce fleuve bien canalisé en ce début du XXe siècle. Car avant les grands travaux entrepris par l’État entre 1848 et 1857, le Rhône était un fleuve qui formait et reformait de multiples bras, se déplaçant sans cesse dans la plaine entre la Côtière de l’Ain et les Balmes viennoises au rythme des crues et des dépôts d’alluvions.
Remontons encore plus loin dans le temps : avant le XIVe siècle, il est très probable que Vaulx-en-Velin, aujourd’hui séparée de Neyron par le fleuve, se situait elle aussi sur la même rive droite du Rhône. Dans l’Antiquité, le confluent du Rhône et de la Saône s’effectuait non pas entre Gerland et la Mulatière comme aujourd’hui, mais au pied de la Croix-Rousse !
Deux raisons majeures expliquent que tant de travaux aient été déployés au XIXe siècle pour fixer le cours du Rhône à peu près tel que nous le connaissons encore aujourd’hui : les grands espoirs placés dans l’amélioration de la navigation fluviale, ainsi que la lutte contre les crues. Dans les années 1830, outre que les inondations dévastent les récoltes, les Lyonnais craignent également que le fleuve ne se déplace encore et “n’abandonne” (c’est le terme qu’ils emploient) leur ville. De plus, les Lyonnais, tout comme les administrateurs et hommes d’État français, misent énormément sur le développement du commerce fluvial dans le contexte de l’essor économique général du XIXe siècle. Or, la navigation au niveau des îles qui se formaient entre Jonage et Neyron était jugée particulièrement difficile. À la descente, il fallait se frayer un chemin dans les multiples bras du fleuve qui se modifiaient sans cesse. Pour la remonte, il était également nécessaire de fixer un chemin de halage solide (et sans arbres!) pour tracter les navires depuis la rive. Enfin, il fallait un chenal asse profond pour permettre le passage de ces tout nouveaux bateaux à vapeur qui, à partir de 1839, assurent un service entre Lyon et Seyssel.
Autant d’intérêts qui amènent tant les Lyonnais que l’État français à s’intéresser au cours du Rhône en amont de la ville. Les résultats escomptés ne sont d’ailleurs pas toujours au rendez-vous : les crues de 1856, 1876 ou encore 1882-1883 furent particulièrement dévastatrices, et la navigation à vapeur souffrit énormément de la concurrence du chemin de fer ouvert en 1857, qui eut raison d’elle. Et les intérêts des Neyrolands ? Plus que les bateaux qui ne firent finalement bien souvent que passer au pied du village, parfois trop vite à leur goût (une plainte de 1885 demande au navire “Le Parisien” de ralentir sa marche en passant à Neyron), ce sont surtout les îles qui les intéressaient...
Corentin GRUFFAT