Voici l'histoire d'un site emblématique et historique de Neyron : la batterie de Sermenaz, plus communément appelée “Fort de Neyron” et propriété de la commune de Neyron depuis une dizaine d'années.
Un peu d'histoire
La batterie faisait partie de la deuxième ceinture de défense de Lyon et a été construite entre 1875 et 1887 sur le mont Goitron, un éperon qui domine le canal de Miribel et qui offre une vue imprenable sur Lyon et le Rhône en amont.
Ce fort, où 75 artilleurs vivaient au début du XXe siècle, est complètement entouré de fossés et les bâtiments sont situés derrière des remparts. Il comprenait 8 canons, 26 tonnes de poudre noire, une infirmerie, un magasin, une citerne d’une contenance de 200 m3. De nos jours, l’ensemble des bâtiments est plutôt bien conservé.
Pourquoi un ouvrage militaire de Défense à Sermenaz ?
L’emplacement est particulièrement bien choisi : le Mont Goitron, cet éperon qui domine le canal de Miribel, la route de Lyon-Genève et commande le chemin du Barye donnant accès au plateau de la Dombes par le chemin de Chalamont.
Imaginez un instant l’emplacement dans les années 1880, sans arbres aux alentours et la vue portait au loin : on apercevait le clocher de Décines à 6 500 m, celui de Vaulx-en-Velin à 4 000 m, le fort de Bron à 9 000 m, dans l’autre direction, le clocher de Vancia à 2 500 m, celui de Neyron à 900 m, du Mas-Rillier à 3 000 m, etc. On pouvait faire un tour d’horizon complet et donc diriger des tirs.
Lyon avait-elle besoin d’être défendue ?
Un petit rappel historique s’impose. Lyon, au début du XIXe siècle était sans défense organisée.
En janvier 1814, l’armée autrichienne venant de Genève avait été repoussée par le maréchal Augereau jusqu’à Lons le Saunier mais une nouvelle offensive de 4 000 hommes permit aux Autrichiens, après les combats de Villefranche et de Limonest, d’entrer sur Lyon par Vaise et Saint-Clair le 4 juin 1813.
L’occupation dura de mars à juin 1814. Après les 100 jours et Waterloo, Lyon subit une nouvelle occupation autrichienne en juillet 1815. Le traité de Vienne, attribuant la Savoie au royaume de Piémont, rapprocha la frontière de la France à 70 km de Lyon. Il devenait urgent pour la ville de se protéger. Dès 1818, un projet de fortifications de 18 forts, qu’on appela par la suite la petite ceinture, vit le jour mais, pratiquement, les constructions ne commencent qu’en 1831 et durent jusqu’en 1850.
À partir de 1860, l’emploi des canons rayés augmente la portée des tirs d’artillerie et rend caduque la défense par les forts de petite ceinture. Lyon serait à portée des tirs de l’artillerie prussienne.
Bien que pendant la guerre de 1870 Lyon n’ait pas subit d’attaque, le ministère de la guerre décide de doter la ville d’une défense éloignée et en confie la réalisation au colonel Séré de Rivière puis à ses successeurs. C’est alors ce que l’on appelle la grande ceinture.
Il s’agit de 14 forts et 10 batteries armés d’une puissante artillerie totalisant 550 canons de gros calibre.
Voici l’énumération de ces ouvrages :
- Fort du Mont Verdun avec 4 batteries des Carriers, de Narcel, du Mont Thou et la Fréta
- Batterie de Sathonay
- Fort de Vancia et la Batterie de Sermenaz et ses deux redoutes de Séveillant et de la Roche
- Fort de Meyzieu et batterie de Décines
- Batterie d’Azieu
- Fort de Genas
- Batterie de Lessignas
- Fort de Bron et la batterie de Parilly
- Fort de Saint-Priest
- Fort de Corbas
- Fort de Feyzin
- Fort de Chamvillars (Irigny)
- Fort de Montcorin (Irigny
- Fort de Cote-Lorette (St-Genis-Laval)
- Fort de Bruissin à Francheville
- Fort de Chapoly et fort du Paillet à Dardilly
Construction de l’ouvrage
La construction a été longue car les moyens de l’époque se réduisent à la pelle, la pioche et la brouette pour creuser les fossés et au tombereau pour charrier la terre et les pierres.
Dans les procès-verbaux des conseils municipaux, le 20 février 1879, le chemin de Sermenaz menant à la batterie est classé comme chemin stratégique, et le 19 juin de la même année, il est question de la répartition de l’entretien de cette voie. Le 20 novembre 1881, le conseil décide de poursuivre l’entrepreneur Reynaud pour dégradation de chemins vicinaux par les charrois des pierres destinées à la construction de l’ouvrage.
Le bornage des zones de servitude de la batterie date du 15 décembre 1893. Les matériaux nécessaires à la construction provenaient probablement des carrières de Couzon ou Villebois, la masse de la batterie étant constituée des déblais de terre provenant du creusement des fossés.
Maitrise du sol par l’autorité militaire
Après d’âpres discussions et devant la menace d’expropriation, les terrains furent acquis à l’amiable et payés entre 0,80 fr et 1,20 fr le m² suivant la nature des cultures (il s’agit de Francs Or soit entre 10 et 15 francs le m²).
En dehors des travaux saisonniers, les exploitants agricoles participent, moyennant finances, au creusement des fossés et au transport de la terre avec leurs attelages.
Après son achèvement, l’ouvrage fut baptisé Batterie de Gribeauval du nom du général Jean-Baptiste de Gribeauval, ingénieur militaire et premier inspecteur de l’artillerie en 1776 qui réorganisa cette arme et en fit la première d’Europe.
Le matériel de Gribeauval fit toutes les campagnes de la Révolution et de l’Empire. Napoléon l’utilisa avec le succès que l’on sait.
Détermination des zones de servitude
Trois zones de servitude ont été définies :
• La 1ère zone entre 0 et 250 m devait rester en terrain cultures basses ne dépassant pas 0,50 m de haut (les céréales étaient interdites).
• La 2e zone entre 250 et 480 m permettait la culture des céréales mais était inconstructible.
• Dans la 3e zone entre 480 m et 580 m, les constructions étaient autorisées mais pouvaient être démolies en cas de nécessité.
Ces 3 zones, définies par des procès-verbaux de bornage, étaient délimitées par des bornes en pierre dont certaines existent encore. Au cours des années 50, les études préalables à la mise au pont du POS ont pu obtenir la levée de ces servitudes. C’est ainsi que les terrains de Sermenaz ont pu être construits.
Utilisation de la batterie
En principe, la batterie ne devait être occupée qu’en cas de guerre. Mais, dans un premier temps, elle est affectée au service du matériel d’artillerie.
Pendant la guerre de 1914-1918, elle est occupée d’abord par les territoriaux (soldat de la 2e réserve) pour la défense intérieure. Puis, une école de conduite de véhicules militaires est installée dans ses locaux avec des camions Saurer lorsque la traction hippomobile est remplacée par l’automobile ; des troupes sénégalaises, malgaches et nord-africaines occupent tour à tour la batterie jusqu’en 1918.
Entre 1918 et 1939, elle est occupée par un petit détachement du régiment de Sathonay.
En 1939, une batterie de DCA du 405e régiment y est installée. Elle manque l’occasion d’intervenir contre quelques avions allemands qui lâchent leurs bombes sur Bron le 10 juin 1940. Dès lors, la batterie n’est pratiquement plus occupée, sinon pour des manœuvres.
Desciption de l’ouvrage
Quelques définitions
- Escarpe : mur d’enceinte maçonné.
- Contre-escarpe : mur extérieur du fossé
- Glacis : zone inclinée en terre couverte d’herbe aménagée autour d’une fortification pour dissimuler l’escarpe aux yeux de l’ennemi.
- Caponnière : ouvrage maçonné fortement armé pour tirer en enfilade dans les fossés.
- Casemate : local maçonné pour protéger hommes et munitions
- Cavalier : ouvrage élevé enterre à l’intérieur d’une fortification permettant aux canons d’avoir de bonnes vues sur l’ennemi. Destiné aussi à protéger le casernement principal.
- Meurtrière : baie étroite pour le tir au fusil
- Parapet : masse de terre rapportée sur laquelle s’appuie l’escarpe pour placer les défenseurs en hauteur
- Demi-lune : ouvrage triangulaire en avant du fort
Plan de la batterie de Sermenaz
(Pont roulant maintenant supprimé)
Forme de la batterie
A partir de 1874 le tracé bastionné est abandonné au profit du tracé polygonal avec caponnières. Ici, nous avons une forme trapézoïdale avec des côtés inégaux. Le pourtour fait 500 m pour une surface de 16 000 m².
- Défense rapprochée : fossé, escarpe, contrescarpe, caponnières doubles
- Emplacement des canons : 8 pièces de rempart ou mortiers
- Magasins de batterie (10 ,11, 14 et 16)
- Atelier de chargement (12, 13 et 15)
- Les bâtiments sont composés d’un corps de garde, de latrines, d’un logement pour officiers et d’un autre pour les sous-officiers, de 3 logements pour les troupes de 25 hommes, d’une cuisine, d’un magasin de subsistance, d’un réfectoire et d’un magasin à poudre.
Capacité de logement
La batterie pouvait recevoir en temps de paix :
- 1 officier, 2 sous-officiers et 75 hommes de troupe.
La capacité pouvait alors doubler en temps de guerre :
- 156 sous-officiers et hommes de troupe en cas de nécessité avec des lits des casemates étant à étage et à 4 places.
Quelques chiffres de capacité pour le magasin de subsistance :
- 88 quintaux de foin et paille
- 34 quintaux de farine
- 2 quintaux de riz
- 9 quintaux de conserve de viande
- 1 ql de sel
- 1 ql de café
- 299 quintaux de bois
- 34 hl de vin
- Une citerne d’eau d’une capacité de 185 m3
- Une poudrière d’une capacité de 26,6 T à 38,1 T de poudre rangées par caisse de 50 x 50 x 50 cm.
Le magasin à poudre
Le magasin à poudre est la pièce la plus importante du fort, c’est là que l’on stocke la poudre noire qui est l’explosif principal pour l’artillerie à cette époque.
La taille du magasin est calculée en fonction du type et du nombre de pièces d’artillerie qu’il y a dans l’ouvrage. Ces magasins sont bâtis en pierre de taille, ils se composent d’une chambre de stockage possédant 4 murs qui ne sont pas en contact avec la terre de remblai. La poudre noire est stockée dans des caisses étanches d’une contenance de 50 kg qui sont alignées sur 8 à 10 rangées.
Un vestibule d’entrée permet d’accèder à la chambre de stockage dont l’éclairage est placé dans la chambre des lampes. Deux gaines de circulation, appelées galeries enveloppes, sont situées en parralèle à la chmabre de stockage. Un vide sanitaire est placé en dessous de la totalité du magasin. Le tout sert de décompression en cas d’explosion accidentelle et permet également une excellente ventilation naturelle car la poudre noire ne supporte pas l’humidité. L’intérieur est recouvert d’un plancher en chêne surelevé facilitant la circulation d’air. Aujourd’hui, seules persistent les lambourdes béton.
Les gonds de la porte, ainsi que toutes les pièces métalliques, sont en bronze afin d’éviter toute étincelle qui pourrait être fatale dans ce lieu remplit d’explosif. L’entrée du magasin est protégée par deux portes blindées, aujourd’hui disparues de notre fort.
L’éclairage du magasin s’effectue la journée grâce à un mirroir qui diffuse la lumière du soleil par le biais d’un puits de lumière. La nuit, il est éclairé par des lampes fonctionnant au colza. Elles sont placées dans la chambre des lampes, dans des créneaux aménagés derrière une vitre de 2 cm d’épaisseur qui évite les accidents vers la chambre de stockage. Le nombre de lampe varie en fonction de la taille du magasin. Comme on le voit sur le schéma ci-dessus, le magasin de la batterie possède trois créneaux à lampe.